samedi 15 juin 2013

Des pépites trop peu connues: L'île nue de Kaneto Shindô



  L'histoire narrée par Kaneto Shindô dans L'île nue (1960) peut être résumée en deux phrases: au Japon, un couple et ses deux enfants vivent sur une île au sol aride qu'ils essayent tant bien que mal de cultiver. Un quotidien rude mais ponctué de quelques moments heureux qui se répète au fil des saisons jusqu'à ce que l'un des deux enfants tombe malade ... Un film considéré désormais comme un classique du cinéma japonais.

  L'île nue est à la fois un film dépouillé, d'une réelle simplicité de par son scénario, ses plans, l'absence de dialogues mais pourtant incroyablement profond. L'esthétique du film est saisissante. L'image en noir et blanc est d'une beauté pure, les jeux de lumière très présents via le soleil qui représente à la fois la chaleur extrême, l'aridité et donc l'effort des deux paysans mais aussi l'apaisement au moment crépuscule et du couché de soleil qui se dessine à l'horizon lors des derniers trajets de barque.
 Certains plans sont répétés tout au long du film: les longs trajets en barque pour aller chercher l'eau douce, si précieuse; l'ascension pénible de l'île; l'irrigation des maigres plantations avec l'eau qui disparaît aussitôt versée sur le sol, absorbée par cette terre inhospitalière. Des répétitions qui viennent illustrer un quotidien fait de labeur et d'efforts qui peuvent nous sembler vains. La façon dont Shindô filme ses personnages, leurs visages, est aussi remarquable.



  L'esthétique du film doit encore plus à son univers sonore. Aucune parole. Le bruit de la mer, de la barque qui glisse sur l'eau. Des souffles, des pleurs, des cris à quelques moments clés du film. Ce quasi-silence est suffisant pour transmettre de réelles émotions au spectateur. Kaneto Shindô arrive à nous faire sourire, pleurer et cela grâce à des silences, de simples regards ou autres expressions physiques. La joie qui s'exprime sur les visages des deux enfants qui ont réussi à pêcher un poisson nous fait esquisser un sourire. La gifle du mari à sa femme ayant trébuché et renversé de l'eau suffit à nous faire frémir. La maladie d'un des deux fils, l'éphémère révolte de la mère contre cette terre ingrate et cette vie difficile nous font pleurer. Un jeu d'acteur porteur d'une vérité, d'une sincérité, d'une pureté sans faille.

  Sans oublier la musique d'Hikaru Hayashi sans laquelle le film ne serait certainement pas le même. Une musique lancinante, composée de nuances et de variations s'articulant autour d'un même thème répété. Peu marquante lors de la première écoute, elle acquiert au fil du film une place centrale, elle semble de plus en plus belle et de plus en plus émouvante. Elle apparaît, disparaît, réapparaît de scènes en scènes, formant une éternelle boucle, tels les aller-retours de la barque entre l'île nue et la terre ferme.



  Le film est aussi le reflet intéressant de la société japonaise des années 1950. Le contraste est saisissant entre le mode de vie de cette famille recluse sur son île et la vie sur le continent. Cela ne fait que renforcer le sentiment d'obstination, d'acharnement (vain, peut être?) ou encore de résignation de ces protagonistes. Une attente se forme tout au long du film: ces gens vont-ils se décider à briser leur destin et le sentiment de fatalité qui pèse sur leur quotidien? Le défilement des saisons, les différentes épreuves subies par cette famille: tout cela va t-il remettre en cause leur volonté acharnée de cultiver cette terre?

  Beaucoup de metteurs en scène actuels devraient s'inspirer de L'île nue: Kaneto Shindô donne une réelle leçon de ce qu'est en partie le cinéma c'est à dire le fait de raconter une histoire et d'émouvoir via à cette histoire qui évoque des faits pourtant très éloignés de notre propre quotidien. Il est très rare de croire à ce que le réalisateur nous montre, d'être happé à ce point par des sentiments qui semblent totalement vrais à l'écran. Michael Haneke affirme que l'imagination du spectateur est un facteur primordial dans le cinéma, d'où l'idée pour le réalisateur de ne pas tout montrer à l'écran, de ne pas tout expliciter par des dialogues, des flashbacks ou autres artifices cinématographiques. Le silence quasi total des personnages de L'île nue donne libre cours à l'imagination du spectateur: il n'a aucunement besoin de paroles pour comprendre les sentiments des personnages et ainsi les ressentir à son tour. Un mouvement d'empathie totale se met en place d'où la réelle beauté de L'île nue. Un film, voire une expérience à part entière, qui nous montre ce qu'il peut y avoir de plus pur dans le cinéma.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire