samedi 26 octobre 2013

Des pépites trop peu connues: Deep End de Jerzy Skolimoski



Lors de sa sortie en 1970, Deep End conquit à la fois le public et les critiques de cinéma pour ensuite devenir un film culte relativement confidentiel. En 2011, une restauration du film permet sa rediffusion dans les salles obscures françaises: une façon pour de nombreuses personnes de découvrir cette oeuvre atypique d'un réalisateur polonais, Jerzy Skolimoski, obligé de fuir à Londres à la fin des années 1960 afin d'échapper à la censure communiste.

 
Education sentimentale

L'histoire se déroule à Londres durant les années 60, période phare nommée Swinging London. Mike (John Moulder-Brown),un adolescent de 15 ans, a quitté l'école et se retrouve embauché aux bains publics d'un quartier défavorisé. Débute alors un quasi huis clos: on ne quitte que très rarement cet établissement défraîchi et plutôt glauque.

 Deep End pourrait être qualifié de film d'apprentissage. En effet c'est lors de sa toute première journée de travail que Mike rencontre Susan (Jane Asher), sa collègue dont il tombera peu à peu amoureux. Plus âgée que lui, libérée et extravertie, Susan propose ses charmes aux clients masculins des bains pour augmenter sa paye. Se chargeant de l'éducation sentimentale de Mike, adolescent gauche et inexpérimenté, elle finira par l'entraîner dans un jeu malsain en manipulant ses sentiments. 
Un décalage se crée entre les désirs de Mike et ceux de Susan qui fréquente déjà deux hommes plus mûrs: un fiancé et un amant, personnages antipathiques qui éveilleront la jalousie de Mike. Le jeune homme, qui s'immisce de plus en plus dans sa vie, devient encombrant pour Susan.



  Deep end reprend ainsi des thématiques pouvant sembler éculées: la découverte adolescente du sentiment amoureux, ici de l'amour à sens unique et de la frustration qu'il engendre. Cela n'en fait pas pour autant un teen movie comme les autres. Le film s'inscrit dans un contexte bien précis: le Londres des années 60, de la libération sexuelle et de la british invasion musicale... Susan est l'archétype de cette jeunesse en quête de liberté: elle est insouciante et survoltée. Mike, avec son visage d'ange, incarne quant à lui le personnage naïf, s'initiant au monde parfois décevant et malsain des adultes. Le film porte cependant une vision très sombre sur cette époque où les nombreux changements sociaux ne rendent pas les individus plus heureux et n'ont pas totalement fait évoluer une société anglaise encore profondément conservatrice.

Huis clos aquatique et Swinging London démythifié

  Deep end est un film atypique en grande partie grâce au lieu central où se déroule l'histoire: les locaux des bains publics où travaillent les deux personnages principaux. Ces lieux (les couloirs, la salle réservée au personnel et bien sûr la piscine) deviennent très vite familiers au spectateur et participent à la création d'une atmosphère tantôt oppressante, tantôt légère voire comique. 
  La piscine est un lieu qui revient à l'écran de manière récurrente et pourrait être la métaphore de l'amour fantasmé, représentant une sorte d'échappatoire pour Mike. Ce dernier y plonge à plusieurs reprises, suivant une sorte de cérémonial pour tenter d'extérioriser sa passion dévorante et de concrétiser ses désirs envers Susan: on pourrait presque parler de catharsis. Skolimoski insiste alors sur l'idée de fantasme: Mike ne serait-il pas tombé amoureux d'une représentation idéalisée de Susan plutôt que de la jeune fille en elle-même? La piscine forme un leitmotiv qui fait écho à des sentiments et souvenirs enfouis en chacun de nous, d'où la beauté de ces scènes aquatiques.





  L'établissement des bains semble créer un univers hostile où Mike paraît à la fois perdu et piégé. Il est confronté aux manipulations de Susan et au dégoût qu'inspirent les différents clients (en particulier les personnages féminins). Un quasi huis clos s'installe, d'où une ambiance relativement étouffante par moments. Mike est confronté à des personnages tous plus antipathiques les uns que les autres (les clientes, la guichetière, l'ex-petite amie...) et l'on comprend son fort attachement à Susan, qui semble être la seule personne à s'intéresser réellement à lui de prime abord.

  On pense enfin respirer lorsque que l'action se déroule en dehors de ce lieu clos. C'est en partie le cas: Mike découvre la vie nocturne londonienne, les boîtes de nuit, l'effervescence caractéristique de cette époque. Cependant, il s'immerge encore plus dans le monde adulte que Skolimoski décrit de manière relativement cynique. Le réalisateur nous montre une ville relativement peu accueillante par certains aspects, où l'obsession pour le sexe est omniprésente. Les gens sortent, font la fête comme pour oublier leur quotidien morne: un Swinging London désincarné, désenchanté et de ce fait totalement démythifié. Encore une fois, Mike semble relativement perdu: il effectue un voyage initiatique semé d'embûches, toujours à la recherche de l'unique objet de ses désirs, se laissant porter par les évènements et la musique du groupe CAN en fond sonore...



 Tragique et comique

   Deep end est à la fois un film foncièrement tragique de par son histoire, son ambiance et la trajectoire de ses personnages. Skolimoski nous parle de situations vécues par tout le monde: le désespoir amoureux, l'acharnement vain... En cela, Deep end est profondément bouleversant car il décrit parfaitement l'état d'esprit adolescent.

  Cependant, le film est parsemé de petits moments remplis de second degré et de légèreté, ce qui accentue d'autant plus sa singularité. Le comique passe à travers les gestes (le côté maladroit de Mike par exemple) et l'aspect extrêmement caricatural de certains personnages (les clients des bains, l'amant de Susan...). Le personnage de Susan fait preuve lui aussi d'une sorte d'humour pince-sans-rire. Ce mélange des genres fait de Deep End un teen movie différent et parfois assez déroutant pour le spectateur. Il exprime au final assez bien les sentiments et états d'esprit ambivalents que l'on peut ressentir à l'adolescence...
  La bande originale du film, avec le titre "But i'm might die tonight" de Cat Stevens représente bien cela: l'idée de fougue et de volonté inébranlable propre au personnage de Mike ainsi que la noirceur d'une société anglaise désenchantée et de l'amour insatisfait.







mercredi 17 juillet 2013

Frances Ha de Noah Baumbach


Sorti le 3 juillet 2013,

Frances, jeune New-Yorkaise paumée et un peu folle dingue, rêve de devenir danseuse professionnelle. Noah Baumbach filme son quotidien: amitiés, déceptions, fous rire, fêtes, coups de tête... Loin des comédies américaines calibrées, ronflantes et conformistes que l'on peut voir trop fréquemment sur nos écrans, Frances Ha s'inscrit dans la veine d'un cinéma indépendant américain brillant et réjouissant.


Comédie (d)étonnante

  Frances Ha est avant tout une comédie à l'humour déjanté, parfois grinçant. Greta Gerwig (Frances) est le véritable pilier comique du film: de par ses répliques, ses mimiques, son caractère à côté de la plaque, "incasable" comme le dit si bien l'un de ses colocataires. Une folie légère qui étonne tout en paraissant naturelle: pas de sur-jeu de la part de l'actrice principale, et de ce fait, tout fonctionne à merveille. On se reconnaît tous plus ou moins dans les joies, les envies, les doutes et les déceptions de Frances, ce qui en fait un personnage attachant. Noah Braumbach semble vouloir dresser un portrait relativement réaliste d'une New-Yorkaise (presque) ordinaire: certes Frances évolue dans un milieu particulier, plutôt favorisé mais ne roule pas pour autant sur l'or, ce qui est d'ailleurs la source de beaucoup de ses galères. Un personnage plein d'authenticité et charismatique, au fort potentiel comique. Précisons tout de même que Frances Ha est une comédie dramatique ( certains passages plus centrés sur la mélancolie et la solitude de l'héroïne nous le rappellent) même si cependant, le registre dominant reste le comique.




Woody Allen, es-tu là?

  Le style d'humour, les caractères des différents personnages, l'ambiance new yorkaise rappellent inévitablement les films de Woody Allen. Frances nous fait penser à certains personnages féminins d'Allen: l'intello déjantée souvent en décalage avec son entourage ou le reste de la société (dans son travail par exemple). Noah Baumbach nous dépeint aussi des personnages influencés par la culture européenne, française plus particulièrement or ce milieu artiste/bobo new yorkais est aussi très présent dans les films de Woody Allen. Certains y verront peut être une influence bien trop présente: il ne manquerait plus que Frances rencontre un soixantenaire misanthrope et acariâtre pour que le film semble avoir été réalisé par ce cher Woody. Blague à part car l'on peut tout de même nuancer ce parallèle: l'humour de Frances Ha se démarque aussi par des références d'une autre génération  ce qui en fait un film original et non une pâle copie d'oeuvres déjà existantes.


 Esthétique et Nouvelle Vague

  Pour raconter l'histoire de Frances Ha, Noah Braumbach a fait le choix du noir et blanc: encore une fois on pense à Woody Allen qui fit de même dans Manhattan et Celebrity. Dans Frances Ha, le noir et blanc apporte un charme supplémentaire et un côté authentique au film. On peut aussi dire qu'il renforce le côté mélancolique de certaines scènes et le blues que Frances éprouve à certains moments de sa vie.

Le noir et blanc ne serait-il pas aussi une référence au cinéma de la Nouvelle vague? Cette référence au cinéma français est une sorte de leitmotiv. A plusieurs moments, on reconnaît des airs composés par Georges Delarue, dont le thème de Camille (Le Mépris de Jean-Luc Godard). On retrouve aussi le thème de "l'école buissonière" composé pour les Quatre-Cent Coups de François Truffaut: une musique qui rajoute encore un peu plus d'impertinence et d'insouciance au film. Enfin, la fameuse chanson de Bowie, "Modern love" qui revient plusieurs fois dans Frances Ha notamment lorsque cette dernière court dans New York tout en dansant. Référence à la merveilleuse scène de Mauvais sang (Leos Carax) durant laquelle Denis Lavant court sans relâche dans Paris pour enfin faire demi-tour. Cette course insensée de Frances résume bien le personnage: elle veut fuir les ennuis, vivre sa vie comme elle le souhaite et réaliser son rêve: danser.


Frances Ha témoigne donc d'une envie pour Baumbach de se démarquer et de proposer une comédie différente en comparaison avec ce qui se fait majoritairement aux Etats-Unis actuellement. Une ambition qui se ressent au travers des nombreuses références au cinéma européen. Sans tomber dans la caricature, Noah Braumbach créé une oeuvre à par et très plaisante.




samedi 15 juin 2013

Des pépites trop peu connues: L'île nue de Kaneto Shindô



  L'histoire narrée par Kaneto Shindô dans L'île nue (1960) peut être résumée en deux phrases: au Japon, un couple et ses deux enfants vivent sur une île au sol aride qu'ils essayent tant bien que mal de cultiver. Un quotidien rude mais ponctué de quelques moments heureux qui se répète au fil des saisons jusqu'à ce que l'un des deux enfants tombe malade ... Un film considéré désormais comme un classique du cinéma japonais.

  L'île nue est à la fois un film dépouillé, d'une réelle simplicité de par son scénario, ses plans, l'absence de dialogues mais pourtant incroyablement profond. L'esthétique du film est saisissante. L'image en noir et blanc est d'une beauté pure, les jeux de lumière très présents via le soleil qui représente à la fois la chaleur extrême, l'aridité et donc l'effort des deux paysans mais aussi l'apaisement au moment crépuscule et du couché de soleil qui se dessine à l'horizon lors des derniers trajets de barque.
 Certains plans sont répétés tout au long du film: les longs trajets en barque pour aller chercher l'eau douce, si précieuse; l'ascension pénible de l'île; l'irrigation des maigres plantations avec l'eau qui disparaît aussitôt versée sur le sol, absorbée par cette terre inhospitalière. Des répétitions qui viennent illustrer un quotidien fait de labeur et d'efforts qui peuvent nous sembler vains. La façon dont Shindô filme ses personnages, leurs visages, est aussi remarquable.



  L'esthétique du film doit encore plus à son univers sonore. Aucune parole. Le bruit de la mer, de la barque qui glisse sur l'eau. Des souffles, des pleurs, des cris à quelques moments clés du film. Ce quasi-silence est suffisant pour transmettre de réelles émotions au spectateur. Kaneto Shindô arrive à nous faire sourire, pleurer et cela grâce à des silences, de simples regards ou autres expressions physiques. La joie qui s'exprime sur les visages des deux enfants qui ont réussi à pêcher un poisson nous fait esquisser un sourire. La gifle du mari à sa femme ayant trébuché et renversé de l'eau suffit à nous faire frémir. La maladie d'un des deux fils, l'éphémère révolte de la mère contre cette terre ingrate et cette vie difficile nous font pleurer. Un jeu d'acteur porteur d'une vérité, d'une sincérité, d'une pureté sans faille.

  Sans oublier la musique d'Hikaru Hayashi sans laquelle le film ne serait certainement pas le même. Une musique lancinante, composée de nuances et de variations s'articulant autour d'un même thème répété. Peu marquante lors de la première écoute, elle acquiert au fil du film une place centrale, elle semble de plus en plus belle et de plus en plus émouvante. Elle apparaît, disparaît, réapparaît de scènes en scènes, formant une éternelle boucle, tels les aller-retours de la barque entre l'île nue et la terre ferme.



  Le film est aussi le reflet intéressant de la société japonaise des années 1950. Le contraste est saisissant entre le mode de vie de cette famille recluse sur son île et la vie sur le continent. Cela ne fait que renforcer le sentiment d'obstination, d'acharnement (vain, peut être?) ou encore de résignation de ces protagonistes. Une attente se forme tout au long du film: ces gens vont-ils se décider à briser leur destin et le sentiment de fatalité qui pèse sur leur quotidien? Le défilement des saisons, les différentes épreuves subies par cette famille: tout cela va t-il remettre en cause leur volonté acharnée de cultiver cette terre?

  Beaucoup de metteurs en scène actuels devraient s'inspirer de L'île nue: Kaneto Shindô donne une réelle leçon de ce qu'est en partie le cinéma c'est à dire le fait de raconter une histoire et d'émouvoir via à cette histoire qui évoque des faits pourtant très éloignés de notre propre quotidien. Il est très rare de croire à ce que le réalisateur nous montre, d'être happé à ce point par des sentiments qui semblent totalement vrais à l'écran. Michael Haneke affirme que l'imagination du spectateur est un facteur primordial dans le cinéma, d'où l'idée pour le réalisateur de ne pas tout montrer à l'écran, de ne pas tout expliciter par des dialogues, des flashbacks ou autres artifices cinématographiques. Le silence quasi total des personnages de L'île nue donne libre cours à l'imagination du spectateur: il n'a aucunement besoin de paroles pour comprendre les sentiments des personnages et ainsi les ressentir à son tour. Un mouvement d'empathie totale se met en place d'où la réelle beauté de L'île nue. Un film, voire une expérience à part entière, qui nous montre ce qu'il peut y avoir de plus pur dans le cinéma.




mercredi 12 juin 2013

Gatsby le Magnifique de Baz Luhrmann



Sorti le 15 mai 2013,


Présenté en tant que film d'ouverture au dernier festival de Cannes, Gatsby le Magnifique était annoncé comme un véritable évènement se devant de créer l'engouement généralisé. Quatrième adaptation cinématographique du roman de F.S Fitzgerald, le film de Luhrmann qui se veut un spectacle visuel à part entière, oublie de traiter en profondeur les thèmes et questionnements principaux de l'ouvrage dont il est tiré. Au final, Gatsby ne fait que jeter de la poudre aux yeux du spectateur (et encore!): un monument de superficialité, de mauvais goût et d'ennui...

Synopsis: Printemps 1922. L'époque est propice au relâchement des mœurs, à l'essor du jazz et à l'enrichissement des contrebandiers d'alcool… Apprenti écrivain, Nick Carraway quitte la région du Middle-West pour s'installer à New York. Voulant sa part du rêve américain, il vit désormais entouré d'un mystérieux millionnaire, Jay Gatsby, qui s'étourdit en fêtes mondaines, et de sa cousine Daisy et de son mari volage, Tom Buchanan, issu de sang noble. C'est ainsi que Nick se retrouve au cœur du monde fascinant des milliardaires, de leurs illusions, de leurs amours et de leurs mensonges.

Sorti en 3D, Gatsby le Magnifique a dès le départ la prétention d'être un film-spectacle, un film qui éblouit le spectateur de par ses décors, ses costumes, ses effets-spéciaux. Objectivement, Luhrmann a réussi: le spectateur en prend réellement plein la gueule, peut être un peu trop: on est mis K.O au bout d'une dizaine de minutes. Une ambiance ultra-kitch, carrément bling-bling finit par ennuyer voire agacer profondément. Baz Luhrmann nous avait déjà initié à son goût pour les couleurs criardes et le grandiloquent avec Moulin Rouge (2001), mais sur ce point, Gatsby le Magnifique bat tous les records. Couleurs saturées, mouvements rapides de caméra: autant de procédés qui cherchent à accentuer les sentiments d'ivresse, de folie, de fête mais qui ne réussissent qu'à donner la migraine. Des effets spéciaux omniprésents, kitschissimes et qui n'apportent rien au film. Une esthétique se voulant flamboyante, impressionnante mais qui relève au final d'une laideur dégoulinante.

Cette image pourrait presque résumer la moitié du film...

 Cette ambiance visuelle d'un mauvais goût assez prononcé n'est pas servie par les choix musicaux de Luhrmann. On comprend les intentions du réalisateur: jouer la carte d'une pseudo-originalité en proposant des morceaux d'artistes récents tout en incorporant des références au jazz des années 1920 (danse du charleston par exemple). Lana Del Rey, Jay-Z: un anachronisme séduisant? Non, plutôt une audace qui n'en est pas une. Cela ne fait qu'accentuer l'effet clip-MTV qui se dégage des scènes de fêtes, ce qui était peut être le but du réalisateur. Bref, l'esthétique de Gatsby pique à la fois les yeux et les oreilles.

Concernant le traitement de l'histoire et des personnages, le film n'éblouit toujours pas. Le personnage de Gatsby perd tout mystère peu de temps après son apparition à l'écran. De nombreux flashbacks, dialogues et autres scènes mielleuses font perdre tout l'intérêt du personnage. Pire que ça, l'histoire du personnage ne nous touche pas. Ses retrouvailles et son histoire d'amour malheureuse avec la fameuse Daisy nous laissent totalement froids émotionnellement. DiCaprio n'est ni bon ni mauvais: il fait le job, point.  Tobey Maguire, qui interprète Nick Carraway, a quant à lui le charisme d'un bigorneau dans ce rôle... Le résultat: un long ennui de 2h20.


Le pire, c'est que Baz Luhrmann semble avoir totalement oublié de traiter ce qui fait l'intérêt de l'histoire originale: la critique de la haute société américaine, de sa superficialité, de son hypocrisie, de son bonheur de façade. Cet aspect aurait pu être abordé de manière plus franche et, de plus,  faire écho à notre époque. Au lieu de cela, le film se centre exclusivement sur une histoire d'amour peu passionnante alors que cette dernière n'est au départ qu'un prétexte pour une réflexion plus profonde sur la société américaine dans son ensemble. Baz Luhrmann a préféré miser sur l'aspect visuel pour provoquer l'émerveillement du spectateur.

Manque de profondeur, de sincérité, de beauté et de charme: Gatsby le Magnifique serait presque ce que l'on pourrait nommer un flamboyant navet.


vendredi 7 juin 2013

Coup de coeur: Django Unchained de Quentin Tarantino


Après les films de gangsters sans merci (Reservoir Dogs, Pulp Fiction...), les films aux scénarios parodiques et déjantés (Kill Bill 1 & 2, Boulevard de la mort), Quentin Tarantino semble désormais rechercher une plus grande densité scénaristique et fait un cinéma de plus en plus ambitieux. Il s'amusait à réinventer l'Histoire et le dénouement de la seconde Guerre Mondiale avec Inglorious Basterds, il récidive avec Django Unchained, cette fois-ci sur le thème de l'esclavagisme dans le sud des Etats-Unis au XIXème siècle.


Django Unchained raconte une histoire simple sur le papier mais finalement dense et très efficace: celle d'un esclave noir, Django (Jamie Foxx) libéré par un chasseur de prime, le docteur King Schultz (interprété par Christoph Waltz, qui jouait déjà à merveille le sadique Hans Landa dans Inglorious Basterds). Ce dernier a en effet besoin de Django pour retrouver trois bandits travaillant en tant qu'esclavagistes, dont les têtes sont mises à prix. Naît à partir de là une complicité étonnante entre les deux hommes qui vont par la suite partir à la recherche de la femme de Django, vendue comme esclave à un certain Calvin J. Candie (Leonardo DiCaprio). Tout cela se déroulant dans le contexte esclavagiste du sud des Etats-Unis, à la fin des années 1850.


 En comparaison avec d'autres films de Quentin Tarantino, le scénario de Django Unchained peut paraître moins farfelu, plus narratif mais aussi plus ample et ambitieux. Cependant, Tarantino reste Tarantino et traite le sujet de l'esclavage à sa manière, c'est à dire de façon totalement décalée et grinçante: le film n'est en effet pas tendre envers le mythe américain. De plus l'humour est très présent à travers l'absurde de certains dialogues ou scènes, d'où un contraste saisissant avec un sujet qui pourrait n'être traité que sur un registre tragique voire gnan-gnan et conformiste.
 Comme dans Inglorious Basterds où il réinventait en quelque sorte le cours de la seconde Guerre Mondiale en faisant périr Adolf Hitler à la fin du film, Tarantino fait de même dans Django Unchained qui nous montre la vengeance radicale d'un esclave noir qui, suite à de nombreuses épreuves, finit par vaincre la domination des esclavagistes blancs. On retrouve là des thèmes récurrents dans les films de Tarantino: l'optimisme d'une part, le héros finissant toujours par triompher malgré des obstacles paraissant insurmontables et le thème de la vengeance jubilatoire: la loi du Talion est encore déclinée sous différentes formes toutes plus sanglantes les unes que les autres tout comme dans Kill Bill, Boulevard de la mort... On pourrait presque penser que cela tourne à l'obsession chez Tarantino !


On retrouve en effet cette violence si caractéristique des films de Tarantino: à la fois absurde, voulue grotesque, inspirée de films d'actions de série B: le sang jaillit de tous les côté (il ne peut vraiment pas s'en empêcher), les balles sifflent et percutent les corps déchiquetés à tout va. Filmées via de nombreux ralentis et gros plans sur fond de rap américain, ces scènes font sourire le spectateur disposant d'un certain second degré ou fait tourner de l'oeil les âmes sensibles peu adeptes du sanguinolent à l'écran.

Cependant, comme toujours dans les films de Tarantino, une autre violence est aussi présente, cette fois-ci moins spectaculaire et dénuée de toute fin humoristique mais de ce fait totalement percutante. La violence des dialogues d'une part, avec par exemple les longs monologues de Calvin J. Candie (interprété par un DiCaprio brillant dans ce rôle de méchant-colérique-sadique) personnage adepte de phrénologie, pseudo-science du début du XIXème siècle. D'autre part une violence physique qui cette fois-ci ne mise pas sur les images sanglantes et exagérées mais sur le registre du tragique: des scènes où la dureté des images, couplée à des fonds musicaux soigneusement choisis, ne fait pas sourire mais au contraire tétanise. D'où le talent de Tarantino concernant sa manière de traiter la violence dans des registres totalement opposés pour mieux percuter le spectateur.



Une histoire ample, prenante et mise en scène de manière grandiose par Tarantino. En effet ce dernier ne réalise pas pas un western banal malgré des scènes qui portent en elles des références au genre: les longues chevauchées dans les plaines américaines (et n'oublions pas le couché de soleil, of course), les arrivées en ville, les échanges de regards pleins de défiance, certains lieux (le saloon, les écuries) et personnages (le bon vieux shérif, protecteur de la communauté). La "mythologie" du western est donc en partie présente, parfois maltraitée, parodiée avec humour, pour notre plus grand plaisir.

Mais Tarantino va au delà de cela, de par sa façon de filmer et l'élaboration d'une photographie très soignée. Certaines images relèvent d'une métaphore récurrente: l'image frappante de cette couleur blanche tout d'un coup ensanglantée ponctue le film. Des images métaphoriques représentant le mythe d'une Amérique blanche, protestante, terre promise, assombri par les meurtres perpétrés du fait de l'esclavage. L'image étonnante d'un champ de coton, symbole des grandes plantations du sud des Etats-Unis sur lequel jaillit du sang est représentative de ce leitmotiv.
 Le choix de la musique participe aussi à l'originalité de ce western baroque. Le réalisateur choisit encore une fois des morceaux variés, totalement anachroniques mais qui se greffent parfaitement aux scènes et donnent une toute autre dimension au film. De titres folk et rock au rap us en passant par Ennio Morricone (mythe du western quand tu nous tiens !), la bande originale est variée et fait partie intégrante de Django Unchained.



jeudi 5 juillet 2012

Coup de coeur: Holy Motors de Leos Carax

Sorti le 4 Juillet 2012.

Holy Motors est le genre d'OVNI cinématographique qui peut à la fois transcender le spectateur comme l'agacer ou l'ennuyer fortement. Leos Carax nous offre en effet un film terriblement surprenant, qui échappe à toute rationalité. Long voyage mystérieux, Holy Motors nous entraîne dans la vie de "monsieur Oscar" qui, à bord de sa limousine, se transforme, se maquille tel un comédien et change ainsi d'identité tout au long de la journée. Entre réalité et jeu d'acteur,  une étrange confusion se met en place. Qui est-il réellement? Que recherche t-il via ces différents rôles qu'il incarne? Un film d'une puissante originalité et d'un mystère fulgurant.


On peut définir en partie Holy Motors comme un hommage au cinéma et en particulier au jeu d'acteur. Au début du film, Leos Carax se réveille, de ce qui semblait être un long sommeil, dans une chambre et ouvre une porte donnant sur une salle de cinéma remplie de spectateurs. Cette mise en abyme nous fait comprendre que l'on accède désormais au domaine de l'imaginaire, de la fiction. Ces thèmes vont être un des leitmotiv de Holy Motors où il est extrêmement ardu de différencier le vrai du faux.

On découvre ensuite le personnage principal du film: Monsieur Oscar, interprété par Denis Lavant. Dans sa limousine blanche, notre homme dit aller de rendez-vous en rendez-vous. Tel un tueur à gage qui exécute contrats après contrats, Monsieur Oscar se déplace de rôles en rôles. Chacun de ses "rendez-vous" l'amène à changer d'identité, à changer de corps et de personnalité. C'est à bord de sa limousine, sorte de loge ambulante que le comédien se maquille, se transforme physiquement à l'aide de déguisements, barbes postiches et autres perruques. Oscar devient alors successivement homme d'affaire, mendiante, clochard fou et sanguinaire, père de famille banal... Il change d'identité afin d'honorer chacun de ses "contrats" et fascine le spectateur tout en le déstabilisant.

Le spectateur est alors désarçonné. Dans quel but fait-il cela ? Pour la "beauté du geste" répond-il. Est-il filmé, est-il acteur au sens où nous l'entendons? Il explique à un moment que les caméras deviennent de plus en plus petites, qu'on ne les voit désormais plus. Les motivations de cet homme nous échappent mais on est fasciné par les différents personnages qu'il interprète. Aucune unité de temps ou de lieu ne se dégage de Holy Motors: aucune réelle continuité ce qui n'en fait pas pour autant un film décousu. On est happé par les différentes situations toutes aussi farfelues les unes que les autres. Perdus, certes, mais transcendés par la beauté de certains plans, choqués par la violence de certaines images, étonnés par tant de spontanéité et d'audace dans le jeu de Denis Lavant. On tente alors en vain de comprendre: qui est réellement cet homme?



Holy Motors est un film inclassable. C'est un film rempli d'humour de par ses situations absurdes, ses dialogues tranchants et un véritable comique de geste qui se dégage de certaines scènes. Remplis de surprises ensuite, de par sa fulgurance et un niveau audace que l'on ne peut observer que trop rarement au cinéma de nos jours. Enfin, une forte mélancolie se dégage parfois de certaines scènes plus lente, obscures voire tragiques.



On peut aussi trouver dans Holy Motors une certaine critique de l'évolution de nos sociétés actuelles. Même si cela n'est pas explicitement énoncé, le spectateur a l'impression que l'intrigue se déroule dans un futur proche. Le monde semble régi par les nouvelles technologies: les caméras deviennent invisibles et omniscientes, et lors de la scène du cimetière, on remarque que sur toutes les pierres tombales est inscrit "venez visiter mon site-web[...]".
Un monde régi par l'image que l'on renvoi à autrui, ce que montre la scène édifiante où Oscar, transformé en clochard fou furieux, se retrouve face à la belle Eva Mendès au milieu de journalistes et photographes de mode.

On peut tout de même se demander si Holy Motors ne fait pas partie de ces films qui échappent à toute analyse complète et rationnelle. A l'instar de certains films de David Lynch tels que Mulholland Drive ou Lost Highway, Leos Carax nous interroge sur la limite qui sépare le réel de l'irréel,  le vrai du faux. Il montre à quel point notre conscience et perception immédiate nous trompent et au combien cette limite est difficile à définir. Holy Motors peut alors être soumis à de nombreuses interprétations et fait appel avant tout à la sensibilité la plus profonde de chaque spectateur. Certaines phrases, certains plans résonnent en nous sans que l'on puisse se l'expliquer. Se laisser transporter et surprendre sans chercher à tout comprendre, voilà ce qui semble permettre d'apprécier le film de Leos Carax, entre autre "pour la beauté du geste".


dimanche 1 juillet 2012

"Sur la route" de Walter Salles


Sorti le 23 Mai 2012

"Sur la route" de Walter Salles est l'adaptation du mythique roman autobiographique de Jack Kerouac, figure emblématique de la Beat Generation. Une adaptation très attendue, tant de nombreux projets de films sans résultats avaient été débutés suite au succès de ce livre de 1957, narrant les vagabondages de cette bande de jeunes ahuris dans les Etats-Unis de la fin des années 40. La plume rythmée et franche de Kerouac avait été une véritable révélation, un vent de fraîcheur et de liberté dans une Amérique puritaine. Le film de Walter Salles est-il donc à la hauteur du mythe?

"Sur la route" a le mérite de respecter l'ambiance qui émane du livre de Kerouac. Sal (alias Jack Kerouac) et sa bande tracent la route, à pied, à bord d'une vieille voiture poussiéreuse ou de camions-benne qui acceptent de les prendre en stop. Du soleil californien à la moiteur de la Louisiane, des plaines du Dakota, au désert mexicain, l'ambiance road movie est bel est bien au rendez-vous. Quel but poursuivent-ils? Aucun, sauf celui de fuir une vie ronronnante, d'échapper aux normes et habitudes émanant de cette Amérique sans surprises. Le mouvement et la vitesse deviennent alors un véritable leitmotiv. On est envieux de ces personnages toujours déchaînés, irresponsables même. Fous mais cultivés: "Du côté de chez Swann"  est leur livre de chevet. Admirateurs de Rimbaud, dont le portrait trône sur le bureau de Sal, on comprend mieux alors leur recherche d'un véritable "dérèglement de tous les sens"... Toujours en quête de nouvelles expériences, sexe drogue et jazz sont les trois mots qui pourraient résumer le film: un hymne à la liberté, à l'ivresse. De ce point de vue, "Sur la route" est réussi, transmettant en partie les mêmes émotions qu'à la lecture du livre. Tout s'enchaîne au rythme des moteurs, des rires, des clubs de jazz, recréant ainsi l'ambiance be-bop de la fin des années 40 aux Etats-Unis.



On aurait cependant aimé que Walter Salles aille plus en profondeur dans cet aspect transgressif du livre de Jack Kerouac. Peut-être le réalisateur a t-il cherché à convaincre un public plus large que les simples admirateurs du roman d'origine? Sans doute, certains passages semblant bien lisses par rapport au style rythmé, haché et percutant de Kerouac. Des passages souffrant de quelques longueurs donc, ce qui donne parfois un effet aseptisé au film. On aurait aimé ressentir de manière plus forte encore la transe de Sal (Jack Kerouac donc) qui, rentrant dans sa petite chambre New Yorkaise, tape sur sa machine de manière frénétique et sans interruption, le récit de ses longs mois de vagabondage...
Un casting plutôt convaincant en revanche; on retrouve une Kirsten Stewart bien loin de son rôle niaiseux de Twilight, malgré un certain manque de caractère, elle incarne une Marilou délurée et meurtrie à la fois. Les deux acteurs interprétant respectivement Sal Paradise (Sam Riley) et Dean Moriarty (Garett Hedlung) montrent bien les différences de caractère des deux amis. L'un plus rêveur et observateur, l'autre plus extraverti, fonceur, parfois même un peu trop...

En bref, un Road movie dans les règles de l'art, plutôt fidèle au livre emblématique de Jack Kerouac.  Ce dernier sorti à la fin des années 50 prônait la liberté face à une société standardisée, il en fait toujours rêver plus d'un de nos jours...

vendredi 17 février 2012

Coup de coeur: "Tomboy" de Cécile Sciamma

Sorti le 20 Avril 2011.

Cécile Sciamma, jeune réalisatrice française, fait de nouveau parler d'elle avec son second long métrage intitulé "Tomboy". Son premier film, "La naissance des pieuvres", sorti en 2007, nous montrait la découverte de l'amour et de l'homosexualité chez deux adolescentes. Le film, malgré un thème audacieux et peu traité au cinéma, décevait par certains de ses aspects. Avec "Tomboy", Cécile Sciamma s'intéresse cette fois-ci à la question du genre, de l'identité sexuelle et de ses codes dans notre société.

  C'est l'été, Laure, petite fille de 10 ans, vient d'emménager avec ses deux parents et sa soeur dans un nouvel appartement. La rentrée des classes approche à grands pas mais Laure ne s'en soucie guère. Dehors, il fait beau, un groupe de garçons joue. En bas de l'immeuble, une petite fille lui demande son prénom. Laure, avec une légère hésitation répond: "Michaël". Elle devient alors un garçon aux yeux de tous les enfants du quartier. A cet âge, la différence des sexes est moins visible d'un point de vue biologique, elle ne l'est que au travers de codes culturels (longueurs des cheveux, types de vêtements etc.). Cheveux courts et blonds, regard bleu perçant et visage fin, le spectateur est lui aussi induit en erreur un moment. Il est ensuite troublé par le mensonge de Laure, mensonge qui nous renvoie à notre représentation de ce qu'est le féminin et le masculin.


   Débute alors un double jeu de la part de la petite fille qui se trouve être de plus en plus difficile à assumer. Avec ses nouveaux amis, elle est Michaël. Michaël joue au foot, au jeu du béret, se met torse nu, se bat et surtout, entretien une relation complice et ambiguë avec Lisa, la "seule" fille de la petite bande. Celle-ci tombera amoureuse de Michaël, qui est à ses yeux un garçon si différent. Une fois à l'appartement, Michaël redevient Laure, du moins auprès de ses parents. Sa petite soeur elle, sera bien vite au courant de la situation, devenant alors une précieuse complice.

On pourrait facilement qualifier "Tomboy" de film à suspens. A quel moment la vérité va t-elle éclater?
Le spectateur est tendu à plusieurs reprises, comme lors de la scène où Michaël et ses amis vont se baigner. Dans la scène précédente, on voit la petite fille se confectionner un faux sexe masculin en pâte à modeler. Michaël prend de plus en plus vie. Une véritable tension est mise en place, le film devient un thriller haletant alors qu'il n'y a à l'image que des enfants chahutant dans l'eau, sous le soleil chaud du mois d'août.
  Cependant, le moment fatidique arrive et la cruelle réalité des choses reprend le dessus. La mère de Laure découvre la supercherie et oblige la petite fille à porter une robe pour aller s'excuser auprès de ses caramarades. La robe est sensée être un indice sociale: un signe distinctif qui classe désormais définitivement Laure dans la catégorie "fille". Terrible moment où l'on ressent tout le dégoût et la honte de la petite fille. Les conventions reviennent au galop: Michaël, en portant cette robe, terrible punition, redevient Laure, en apparence du moins.

  A première vue, "Tomboy" est un film à l'histoire simple et anodine. Il soulève cependant des questions sociologiques complexes concernant le genre. En se faisant passer pour un garçon, Laure est totalement intégrée dans la petite bande. Elle peut jouer au foot et se battre car elle est un garçon aux yeux des autres. En revanche, Lisa qui est une fille est exclue ou s'exclue elle-même de certaines activités (le foot par exemple). 

  Des situations ordinaires et réalistes, des réflexions enfantines, qui évitent à chaque fois la caricature, ponctuent ainsi le film et montrent que l'identité sexuelle est avant tout un jeu, un déguisement, des conventions, loin d'être innées ou naturelles. Des conventions qui forment alors des rôles dits masculins et féminins. La confusion des genres est encore mise en avant lorsque Lisa décide de maquiller en fille le petit Michaël. D'ailleurs la part de féminité de Michaël charme Lisa et fait qu'elle tombe amoureuse de lui (et donc de Laure?). Elle ne le trouve pas "comme les autres.".  
  Tomboy n'est pas un film à thèse et ne déploie pas une argumentation dans telle ou telle direction. Céline Sciamma ne cherche pas à analyser les motivations et le comportement de Laure, elle ne fait que le filmer simplicité, ce fait pourtant de Tomboy un film dense. Les situations, les dialogues, les gestes et attitudes générales des différents personnages (parents et enfants) parlent d'eux-mêmes et retranscrivent une certaine réalité sociale, celle de la socialisation genrée et de la construction des rôles sociaux selon le sexe qui se met en place dès notre plus tendre enfance. La spontéanité et l'authenticité qui émane qui jeu des acteurs est impressionnant et rend le film d'autant plus bouleversant.

  Tomboy est donc un film touchant, amusant, incroyablement bien interprété, à la réalisation simple, sobre et efficace qui pourrait faire penser à celle d'un documentaire. Cécile Sciamma met en scène la confusion des genres mais aussi la confusion des sentiments, un thème qui semble lui être cher. On s'attache au personnage de Laure/Michaël et l'on est frappé par la cruauté des normes et des conventions de notre société.

dimanche 13 novembre 2011

L'Exercice de l'Etat de Pierre Schoeller

  Sorti le 26 Octobre 2011.


Le cinéma français se met peu à peu au genre de la politique-fiction, on pense notamment à "La conquête" nous montrant l'ascension au pouvoir et l'élection de Nicolas Sarkozy comme président de la République. L'Exercice de l'Etat fait partie de ces films qui nous montrent les coulisses de la vie politique, ici avec une certaine subtilité. Bertrand Saint-Jean, ministre des transports, se bat pour la non-privatisation des gares et se retrouve seul contre tous, à lutter (en vain?) pour ses convictions, ses choix politiques...

"L'exercice de l'Etat" est un film qui questionne, qui dérange. Les premières images, assez déroutantes, nous montrent une femme nue avalée entièrement par un crocodile à la bouche béante et terrifiante. Le message est là, une proie et un prédateur, l'homme politique envahi par les intérêts de ses supérieurs et par la tentation du pouvoir. "L'exercice de l'Etat" nous interroge donc sur les rouages du pouvoir politique avec subtilité. Il se penche sur l'homme politique, ici un ministre des transports incarné par Olivier Gourmet, avec ses qualités, ses défauts, ses convictions, et l'envie de s'en sortir coûte que coûte, quitte à faire parfois marche arrière.


Avant tout, les qualités de "L'exercice de l'Etat" résident dans son ambiance qui retranscrit de manière très réaliste l'univers politique. Que ce soit dans les décors, dans les rapports entre les personnages tantôt amicaux tantôt houleux ou bien dans les discours et les relations politiques-médias basées sur la langue de bois, tout est réalisé en finesse et nous fait presque rentrer, à la manière d'un documentaire, dans les coulisses de l'Etat. Seule la scène où l'on voit Bernard Saint-Jean se saouler en compagnie de son chauffeur (qui habite dans une caravane, faute d'avoir terminé la construction de sa maison) sonne terriblement faux. Une scène relativement grotesque tentant de nous montrer le visage humain et monsieur-tout-le-monde de ce ministre, cet homme pressé, hyper occupé, aux lourdes responsabilités. Heureusement, le film nous montre cet aspect de manière plus fine à d'autres reprises et ne tombe donc ni dans la lourdeur ni dans le portrait simpliste.

En effet, en plus des situations, les personnages nous paraissent eux aussi très réels, que ce soit le directeur de cabinet remarquablement interprété par Michel Blanc ou la conseillère de communication jouée par Zabou Breitman. Le film est centré sur les relations entre tous ces personnages et sur la vie politique au quotidien faite d'aléas, de coups bas, de "convictions profondes" et de renoncements. Voilà d'ailleurs le véritable questionnement du film: comment garder ses convictions en politique? Comment garder le cap contre vent et marée? C'est la situation dans laquelle se trouve Bernard Saint-Jean avec son combat contre la privatisation des gares. Pierre Schoeller nous montre un pouvoir politique et un Etat plein de paradoxes, où la recherche de pouvoir et la soumission à la hiérarchie l'emportent souvent sur les convictions des individus.
Un film original de par son propos et son aspect réaliste mais aussi grâce à de petits détails à la fois sonores, avec une musique tonitruante, et visuels avec une violence à la fois physique et psychologique qui frappe le spectateur de plein fouet. La tension monte peu à peu  tout au long du film et l'on assiste à un quasi thriller politique.

En conclusion, on peut considérer que "l'Exercice de l'Etat" est une fiction politique totalement réussie mettant en scène des situations, des personnages très vraisemblables. Mais l'Exercice de l'Etat délivre aussi des messages qui nous font réfléchir sur la conviction en politique, sur les motivations des hommes politiques et leur rapport avec le pouvoir.

vendredi 4 novembre 2011

Drive de Nicolas Winding Refn


Drive, sixième long métrage du réalisateur danois Nicolas Winding Refn, met en scène un jeune homme solitaire et peu bavard. Cascadeur dans les studios de cinéma d'Hollywood la journée, complice de truands la nuit, ce conducteur taciturne pose des règles claires et strictes en ce qui concerne ses contrats avec la mafia. Mais lorsqu'il décide de venir en aide à un ex-taulard de son immeuble, tout tourne mal...

Dès la première scène où une voiture roule dans la nuit sous les lumières urbaines, on ne peut s'empêcher de penser aux premiers plans de Taxi Driver (Martin Scorsese). La musique Jazz est ici remplacée par une chanson électro aux sonorités sombres, Night Call. "There something inside you, it's hard to explain", une phrase évocatrice, comme pour déjà mettre en avant l'ambiguïté et le mystère planant autour du personnage principal de Drive interprété par l'étoile montante du cinéma hollywoodien contemporain, Ryan Gosling.

Le film commence de manière tonitruante avec un braquage qui nous expose la méthode de travail de ce conducteur au service de la mafia. Il offre son talent de chauffeur durant cinq minutes seulement, c'est à dire le temps qu'il lui faut pour semer la police. Il ne participe pas aux braquages: il ne fait que conduire, rien que conduire. La première course poursuite est sans doute l'un des meilleurs passage du film. Dans la jungle urbaine de Los Angeles, on vibre et on palpite de nervosité. Se met en place un véritable thriller où règlements de comptes entre mafieux et bruits de moteurs ne font qu'un.



C'est sans doute le point fort du film: cette ambiance sombre et pesante qui accompagne les déboires du personnage principal. Sombre par rapport à l'ultra-violence de plusieurs scènes, malgré la présence en parallèle d'une certaine tendresse. La ville de Los Angeles nous apparaît tourmentée voire désenchantée. La rudesse et le côté gore stylisé de certaines scènes nous font inévitablement penser aux films de Tarantino, sans l'humour ou la dérision cependant.
Peu charismatique à première vue, le personnage interprété par Ryan Gosling fait de Drive un film atypique. Il incarne un personnage double qui s'inscrit dans la lignée de Steve Mc Queen dans Bullit ou de Travis Bickle dans Taxi Driver. Le personnage est ambigu, il est à la fois timide et impassible, il est aussi généreux envers Irène, sa voisine, et son fils. Cependant, il peut se révéler d'une terrible brutalité. On est fasciné par ce personnage étrange faisant preuvre d'un flegme et d'une gentillesse mais parfois aussi d'un déferlement de violence.


Drive n'arrive cependant pas à nous éblouir en ce qui concerne son scénario, à l'intrigue un peu trop série B. Une histoire plus fouillée et dense aurait fait de Drive un meilleur film mais un manque réel de suspens laisse le spectateur sur sa faim. On a du mal à adhérer à la romance qui naît entre le personnage de Ryan Gosling et sa voisine Irène. Un bilan mitigé pour un film qui intrigue, séduit par certains aspects mais ne nous marque pas profondément par la suite...